J’ai la grande tristesse de vous annoncer le décès de Jacques Pezeu-Massabuau, jeudi soir à Tokyo. Il avait atteint 94 ans certes, mais gardait une forme impressionnante pour ce grand âge, avant que l’hiver ne l’emporte. Les aînés de JAPARCHI l’ont bien connu, lorsqu’il nous a accompagnés, avec le professeur NISHIDA, dans la réalisation du programme de recherches « Dispositifs et notions de la spatialité Japonaise », dans les rencontres qui conduiront à notre « Vocabulaire ». Nous avons apprécié ses conférences, érudites, toujours dans ce style élégant et aujourd’hui suranné d’un homme formé aux lettres classiques. Ses manières « vieille France » en étonnaient plus d’un, et charmait au contraire les autres pour ces qualités aujourd’hui rares, sinon oubliées. Pour les plus jeunes, il faut rappeler que, agrégé de géographie, il a consacré sa thèse d’état, un monumental volume d’une incroyable richesse, à « la maison japonaise » (publiée en 1981 aux POF), qui a marqué notre domaine de recherches de manière indélébile. On se souvient particulièrement de sa première grande étude : « la maison japonaise et la neige » (1966). Chercheur très autonome, jalousement indépendant et même libertaire, il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, et d’innombrables articles dans les meilleures revues. Il y a développé sa curiosité inlassable, ses analyses profondes et percutantes pour ce que c’est que d’habiter notre terre, notre maison, et le Japon en particulier. Il y a souvent pris l’exemple de sa propre demeure familiale, à Saint-Geniès-d’Olt en Aveyron, qu’il chérissait tant et qu’il a doté d’un jardin classique, aimant à le faire admirer à ses hôtes. Il s’est ainsi fait mémorialiste de cette ville, de sa famille, de cette belle maison aveyronnaise du XVIIe siècle. Infatigable voyageur, il a parcouru toute l’Asie. Curieux de tous les mouvements de pensée scientifiques, il a exercé ses talents dans de multiples activités, et jusqu’à conseiller l’ancienne municipalité francophile de Tokyo. Scribe passionné, il a consacré trois volumes à l’épuisement géographique de notre globe que constitue l’œuvre de Jules Verne. De même a-t-il traduit son goût de l’esthétique du Japon dans la publication de plusieurs recueils photographiques. On se souvient aussi de son texte introductif au Guide Bleu du Japon de la haute époque, à côté de celui d’Augustin Berque, volume devenu un précieux incunable. De la demeure il faisait leçon, mémoire, plaisir, rêve. Au-delà de ma tristesse de perdre un ami très cher, je voudrais transmettre à sa famille, à sa fille, à son gendre, à ses deux petits-fils, la joie que nous avons eue de connaître Jacques dans toute son originalité plus encore que la tristesse de le perdre. L’incinération a eu lieu dans la plus stricte intimité.
Philippe Bonnin
Postes et fonctions occupées
- Lycée Jean Jacques Rousseau à Saigon : oct. 1957-juin 1960
- Maison Franco-japonaise de Tokyo: octobre 1960-juin 1963
- Université de Saigon: juin 1963-juin 1964
- Attaché de recherches au CNRS : 1964-1972
- Athénée Français de Tokyo; 1972-1990
Université de Tokyo: 1980-1990 - Université de Chûô: 1980-1991
- Université Ôu (Kôriyama): oct. 1991-mars 1997
- Université de Waseda :
Faculté de sciences économiques: 1990–> ?
Faculté de droit : mars 1998-2000
Participation à trois comités d’urbanisme de la ville de Tokyo travaillant respectivement sur l’aménagement de la rivière Sumida, l’aménagement de la Place de l’Hôtel de ville, et l’exposition (avortée) d’urbanisme « Tokyo Frontier ».
Pour finir, voici quelques phrases de Jacques Pezeu, écrites il y a deux ans environ, transmises par sa fille dans lesquelles il évoque son parcours.
Activité professionnelle
« Loquace de tempérament et pédagogue de vocation, j’ai passé mon existence à enseigner (fût-ce à des auditeurs plus cultivés que moi).
Après le lycée JJ Rousseau à Saigon, puis à l’université de cette ville, chercheur au CNRS, professeur à l’Université de Tokyo (1980-1990), à Waseda (1991-(998), seul membre étranger de plusieurs comités d’urbanisme de la Ville de Tokyo, enseignant à l’Institut Supérieur de Gestion à Paris et Tokyo, participant à des Tables rondes (urbanisme), écrivant dans diverses revues (photographie, sociologie), j’ai toujours occupé des postes agréables, face à des étudiants intelligents et dociles. J’ai toujours ainsi paru très occupé, tout en consacrant la plupart de mon temps à des activités (lecture, photographie ) plus rafraîchissantes.(…)
Pour (ne pas) conclure
Il est temps de mettre un terme à ces propos et aussi que j’arrête de parler de moi: Toutefois, avant de « me »quitter de cette manière, je répondrai à trois questions qu’on pourrait me poser:
– pourquoi parler (ou écrire) de soi ? De plus intelligents l’ont fait pour diverses raisons. Quant à moi, il s’est d’abord agi de répondre à un désir de ma fille, apparemment curieuse de connaître qui je suis ou étais, et peut être aussi à mon besoin d’examiner à distance les gens et les choses que j’ai rencontrés mais qu’on ne regarde jamais sur le moment.
– Comment peut-on parler de soi ? Ayant fermé mon ordinateur il me suffit de papier et d’une plume et, incapable d’une longue narration, de partager en trois mon existence: des personnes (à commencer par moi), des lieux, des actes. Ainsi fragmentée, il devenait aisé de la raconter, au seul risque de se répéter.
– Quand parler de soi ? Maintenant. Entre un passé enfui et un avenir ignoré, ce « maintenant » est la plume que je tiens. Le passé est déjà écrit, ne me reste que l’impalpable présent, cet éternel fuyard que j’appelle « maintenant ». »